mardi 2 avril 2013

Voyage au bout de la nuit - Céline


L'histoire
L'histoire commence à Paris, Place de Clichy, en 1914. Ferdinand Bardamu, étudiant en médecine, discute avec un ami à une terrasse de café lorsqu'un régiment vient à passer juste devant eux. Plein d'enthousiasme, Bardamu décide de s’engager dans l'armée. Mais une fois au front, il déchante rapidement en découvrant l'horreur de la guerre. Il fait la rencontre de Robinson, un déserteur. Blessé, puis réformé, Bardamu retourne à Paris où il a une liaison avec une américaine, Lola puis avec une violoniste, Musyne. Toutes les les deux finissent par le quitter. Bardamu s’embarque alors pour l’Afrique où il se fait embaucher par une compagnie coloniale. Sur place, il retrouve Robinson qu'il remplace dans la gérance d'un petit commerce. Toutefois, Bardamu tombe gravement malade. Il est embarqué, à demi inconscient, dans une galère à destination des États-Unis. Il débarque à New York, puis rejoint Détroit où il se fait embaucher comme ouvrier chez Ford. Il fait la rencontre de Molly, une prostituée au grand cœur, dont il s'éprend et qui lui voue elle aussi un amour sincère. Mais il la quitte pour rentrer en France et terminer ses études de médecine. Son diplôme en poche, Bardamu s’établit en banlieue, à Rancy où il doit affronter la misère et la pauvreté. Robinson croise à nouveau sa route. Ce dernier, mêlé à une sordide histoire d'assassinat, se retrouve grièvement blessé aux yeux et part se faire soigner à Toulouse. Bardamu quitte Rancy à son tour pour devenir médecin à l’asile psychiatrique du Dr Baryton. Il pense ne jamais revoir Robinson. Mais ce dernier, guéri, cherche à fuir Madelon, sa fiancée et vient demander à Bardamu de l'héberger. Sur les conseils de Sophie, sa maitresse infirmière, Bardamu propose à Robinson et Madelon de sortir tous ensemble afin de les réconcilier. Mais dans le taxi qui les ramène après leur soirée passée aux Batignolles, Madelon tire trois balles sur Robinson et prend la fuite...

Mon avis
Certains romans produisent sur le lecteur un effet "coup de poing". Voyage au bout de la nuit fait partie de ceux-là. Ce récit ponctué de messages forts, empreints de cynisme mais aussi teintés d’humour et d’ironie, se lit en effet avec une certaine exaltation.
Personnage atypique et torturé, Ferdinand Bardamu, narrateur-protagoniste, entreprend une sorte de voyage initiatique rythmé par différentes étapes d’apprentissage. Le lecteur se retrouve ainsi entraîné dans l’exploration de la misère au travers différents mondes : la guerre, les colonies africaines, le milieu ouvrier américain, la banlieue parisienne. Traumatisé par son expérience de la guerre, dont il ne se remettra jamais, Bardamu possède une vision très noire du monde. A ses yeux, la vie semble dénuée de tout sens et de toute valeur.
Une autre particularité de ce roman tient à l’écriture de Céline et surtout au vocabulaire populaire, argotique et souvent grossier qu’il emploie. Voyage au bout de la nuit est un roman déroutant dont on ressort profondément ébranlé. C'est pour ça qu'il faut le lire...

Mes citations préférées
"L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches."
"C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours."
"Quand on pas d'imagination, mourir c'est peu de chose, quand on en a, mourir c'est trop."
"La grande défaite, en tout, c'est d'oublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusqu'à quel point les hommes sont vaches."
"L'âme c'est la vanité et le plaisir du corps tant qu'il est bien portant, mais c'est aussi l'envie d'en sortir du corps dès qu'il est malade ou que les choses tournent mal."
"Tout ce qui est intéressant se passe dans l'ombre, décidément. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes."
"L'amour c'est comme l'alcool, plus on est impuissant et saoul et plus on se croit fort et malin, et sûr de ses droits."
"La poésie héroïque possède sans résistance ceux qui ne vont pas à la guerre et mieux encore ceux que la guerre est en train d'enrichir énormément."
"Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue."
"Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls."
"Faire confiance aux hommes c'est déjà se faire tuer un peu."
"La vérité de ce monde c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi."
"On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi. C'est la nature qui est plus forte que vous, voilà tout."
"C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir."
"Les études ça vous change, ça fait l'orgueil d'un homme. Il faut bien passer par là pour entrer dans le fond de la vie."
"Autant pas se faire d'illusions, les gens n'ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c'est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous."
"La misère poursuit implacablement et minutieusement l'altruisme et les plus gentilles initiatives sont impitoyablement châtiées."
"On ne peut pas se retrouver pendant qu'on est dans la vie. Y a trop de couleurs qui vous distraient et trop de gens qui bougent autour. On ne se retrouve qu'au silence, quand il est trop tard, comme les morts."
"Tout devient plaisir dès qu'on a pour but d'être seulement bien ensemble parce qu'alors on dirait qu'on est enfin libre. On oublie sa vie, c'est-à-dire les choses du pognon."
"Avec les mots, on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l'air de rien les mots, pas l'air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu'ils arrivent par l'oreille par l'énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d'eux des mots et le malheur arrive."

Quelques extraits
"On est puceau de l'horreur comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d'entrer vraiment dans la guerre tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéantes des hommes ?"
"Cette gueule d'État-major n'avait de cesse, dès le soir revenu, de nous expédier au trépas et ça le prenait souvent dès le coucher du soleil. On luttait un peu avec lui à coups d'inertie, on s'obstinait à ne pas le comprendre, on s'accrochait au cantonnement pépère tant bien que mal, tant qu'on pouvait, mais enfin quand on ne voyait plus les arbres, à la fin, il fallait consentir tout de même à s'en aller mourir un peu : le dîner du général était prêt."
"Il ne me restait qu'un tout petit peu d'espoir, celui d'être fait prisonnier. Il était mince cet espoir, un fil. Un fil dans la nuit, car les circonstances ne se prêtaient pas du tout aux politesses préliminaires. Un coup de fusil vous arrive plus vite qu'un coup de chapeau dans ces moments-là."
"Le coeur de Lola était tendre, faible et enthousiaste. Le corps était gentil, très aimable, et il fallut bien que je la prisse dans son ensemble comme elle était. C'était une gentille fille après tout Lola, seulement, il y avait la guerre entre nous, cette foutue énorme rage qui poussait la moitié des humains, aimants ou non, à envoyer l'autre moitié vers l'abattoir."
"On perd la plus grande partie de sa jeunesse à coups de maladresses. Il était évident qu'elle allait m'abandonner mon aimée tout à fait et bientôt. Je n'avais pas encore appris qu'il existe deux humanités très différentes, celles des riches et celles des pauvres. Il m'a fallu, comme à tant d'autres, vingt années et la guerre pour apprendre à me tenir dans ma catégorie, à demander le prix des choses et des êtres avant d'y toucher, et surtout avant d'y tenir."
"Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n'y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d'énormes assassinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement, c'était beaucoup d'admiration pour un seul homme.  Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu'aux premières étoiles."
"Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New-York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur."
"En somme, tant qu'on est à la guerre, on dit que ce sera mieux dans la paix et puis on bouffe cet espoir-là comme si c'était du bonbon et puis c'est rien quand même que de la merde. On n'ose pas le dire d'abord pour dégoûter personne. On est gentil somme toute. Et puis un beau jour on finit quand même par casser le morceau devant tout le monde. On en a marre de se retourner dans la mouscaille. Mais tout le monde trouve du coup qu'on est bien mal élevé. Et c'est tout."
"J'étais comme arrivé au moment, à l'âge peut-être, où on sait bien ce qu'on perd à chaque heure qui passe. Mais on n'a pas encore acquis la force de sagesse qu'il faudrait pour s'arrêter pile sur la route du temps, et puis d'abord si on s'arrêtait on ne saurait quoi faire non plus sans cette folie d'avancer qui vous possède et qu'on admire depuis toute sa jeunesse. Déjà on est moins fier d'elle de sa jeunesse, on ose pas encore l'avouer en public que ce n'est peut-être que cela sa jeunesse, de l'entrain à vieillir."
"Elle a tout pris la nuit et les regards eux-mêmes. On est vidé par elle. Faut se tenir quand même par la main, on tomberait. Les gens du jour ne vous comprennent plus. On est séparé d'eux par toute la peur et on en reste écrasé jusqu'au moment où ça finit d'une façon ou d'une autre et alors on peut enfin les rejoindre ces salauds de tout un monde dans la mort ou dans la vie."
"En fait de passé, c'est surtout de Molly, moi, que je me souvenais bien, quand j'étais bon sentiment, comme de l'écho d'une heure sonnée lointaine et quand je pensais à quelque chose de gentil, tout de suite, je pensais à elle."

Ma note
 


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